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Carte || Liens communs || Liens Japon || Liens Chine


Alain R. Coulon collabore sur notre site à la rédaction et à la mise en forme des pages en chinois et en japonais. Il présente ses appréciations dans les textes ci-dessous après de longs séjours résidentiels en Asie.


En voyage dans le transmogolien...
copyright AR Coulon
"Alain Robert Coulon a séjourné 21 ans en Asie : 2 ans en Chine (un an à Pékin et un an à Nankin) et 19 ans au Japon (deux ans à Nagasaki et 17 ans à Tokyo).

A cela s'ajoutent 5 voyages en Thaïlande, 2 voyages aux Indes et au Népal. Il a traversé trois fois le continent eurasiatique de Pékin à Paris via Moscou (deux fois par le transmongolien -train chinois- et une fois par le transmandchourien -train russe-). Un article sur son dernier voyage est paru dans l'hebdomadaire "Valeurs actuelles"(1) (dernière semaine d'août 2000).

Sommaire des textes d'A.R. Coulon :




VU DE LA FENETRE DU TRANSMONGOLIEN : DE TOKYO A PARIS, UNE TRAVERSEE AU COEUR DE LA PSYCHIATRIE DES NATIONS.

[mise en ligne en juin 2004]

Cet article a été publié à Paris en octobre 2004 dans le Bulletin de l'INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales)


1ère partie | 2ème partie


De la petite guérite du consulat, l'employée toute menue, en réalité la femme de l'ambassadeur de Mongolie à Tokyo, vous décochait un regard rusé et cruel, peut-être ulcérée qu'un Occidental parlât le japonais aussi bien qu'elle, ou surtout qu'il parvînt à s'immiscer dans son univers hautement secret et délicat de belle sauvageonne - un minuscule royaume personnel, effroyablement intériorisé.
Montesquieu, dans L'esprit des lois, explique que les Tatars sont raffinés au plus haut point quant il s'agit des leurs, mais sans pitié ni égards, sauvages au dernier degré, dans leurs rapports avec le monde extérieur.

Où commence la civilisation ? Ou finit de prospérer la barbarie ?
Question lancinante de ce périple de 10 000 kilomètres d'un bout à l'autre de l'Eurasie.

Du Japon encore fanatique, collectivement héroïque - alors que le héros grec est seul, accompagné tout au plus d'un ami cher - jusqu'à notre trop douce France, neuf pays traversés, en comptant le petit "Belarus" ("Biélorussie" prête à confusion, à Moscou comme à Tokyo) où le douanier demande d'un ton dubitatif et réjoui, sans trop y croire : "Avez-vous notre visa ?".

Pour vérifier si l'Oural, seul obstacle naturel sur la voie des grandes invasions à cheval, - route de la Sibérie du nord, sans montagnes ni déserts jusqu'à Bruxelles et Paris, par opposition à la voie du sud, de la soie, des caravanes - est, oui ou non, une frontière digne de ce nom entre l'Europe et l'Asie, il n'est pas inutile d'éviter l'avion, du haut duquel tout est gris, abstrait, uniforme, anonyme, noyé dans l'ouate, de ne pas s'épargner les fatigues de huit jours de train, la peine de faire la quête, non entièrement gratuite, de quatre visas.
La Russie vend le sien à un tarif dégressif : à prix d'or en deux jours, meilleur marché en une semaine.
Et l'on vous recommande vivement, pour les périls encourus, de contacter votre assureur.

En service depuis 1960, le train chinois, qui, par Oulan-Bator, rejoint le Transsibérien passé le lac Baïkal, vers Irkoutsk, fêtait en l'an 2000 son quarantième anniversaire. Cette diagonale qui met Moscou (grâce à une contribution des travailleurs du Goulag) à cinq jours et demi de Pékin, est un raccourci relatif, rompant la monotonie de la grande transversale sibérienne construite beaucoup plus tôt (achèvement en 1907), à partir de Vladivostok dont le nom signifie "Vainqueur d'Ostok (de l'Orient)".

S'il reste possible, de la province japonaise de Niigata, en un peu plus d'une heure d'avion, de traverser droit en direction du chemin de fer russe la mer intérieur dite "du Japon" ( "Nihonkai", appropriation contestée par les Coréens et les Chinois), il est plus spectaculaire et moins onéreux, compte tenu des prix pratiqués à Tokyo par la compagnie aérienne locale de Vladivostok, de gagner Pékin moyennant deux visas supplémentaires.

Alors, le puzzle à neuf pièces : Japon - Chine - Mongolie - Russie - Belarus - Pologne - Allemagne - Belgique - France se construit ; la gradation des cultures et des langues se déploie ; la mosaïque des moeurs frise le délire - transition lente et implacable du sourire mince et sec, de bois, des masques du Nô, aux sourires ronds, francs, goguenards, ou carrément franchouillards, sinon simiesques, de nos guignols.

Malgré l'exécrable réputation du régime actuel, de toutes les ambassades contactées à Tokyo, c'est celle du petit Bélarus qui réserve l'accueil le plus courtois, le plus européen. A celle de Chine, des querelles d'envergure éclatent entre les fonctionnaires et un Chinois d'outre-mer qui déclare : "Maintenant, je vous connais bien: vous êtes tous les mêmes !".
Pas de cris à celle de Russie, feutrée, tamisée, mais des délais, des erreurs. Comme au dix-neuvième siècle, le visa est ici un important document à deux volets, distinct de votre passeport. Si l'on n'y prend garde, on vous fait rentrer par miracle en train à Moscou, le 12 juin, sans même mentionner votre passage préalable le 7 à Naushki, le poste frontière.
Quant à l'ambassade de Mongolie, elle est la seule qui ne vous demande pas de montrer votre titre de passeport, d'indiquer votre route : il suffit de payer - lourde pénalité pour le transit.

Une frontière, c'est un état de guerre, un acte d'hostilité figé. La passer, c'est l'affronter ; revivre une confrontation ; se ressouvenir de batailles oubliées.

Les traversées s'opèrent le plus souvent de nuit. Les passages les plus durs ont lieu entre onze heures et deux heures du matin, comme s'il fallait brouiller les repères, dissimuler la configuration du terrain, créer un climat de mystère, de harassement. On vous subtilise pendant une heure votre passeport. On vous le réclame traîtreusement une deuxième fois, alors que vous croyez le contrôle terminé. Vous devez lever vous-même le siège mobile sur lequel vous êtes assis, et sous lequel pourrait se cacher un homme, un fugitif ; ou bien l'on vous demande vertement de sortir du compartiment, et l'on s'y précipite torche en main, pour y danser frénétiquement un court ballet, explorer tous les recoins, les espaces vides de votre minuscule cabine de luxe bleue où, à deux en première classe (contre quatre en seconde), vous avez l'immense avantage, dans la cloison, de partager une douche rudimentaire avec vos voisins, avertis de leurs entrées et sorties par une s! onnerie bruyante, nasillarde.

Naguère, sur un autre embranchement du Transsibérien, à la frontière entre la Mandchourie et l'URSS, que j'ai franchie en 1978 par le train russe dans un climat de guerre larvée où se voyaient encore les miradors datant des incidents armés du Fleuve Amour, on allait jusqu'à soulever les tapis du couloir, ausculter les dessous et le toit du train à la recherche des fuyards ou des espions, bruits inquiétants qui contribuaient à créer une déconcertante atmosphère ; les douaniers éparpillaient minutieusement le contenu de vos valises, vérifiant le moindre papier, s'emparant de vos cassettes pour les écouter en secret dans leurs bureaux, et, quand ils pouvaient faire la démonstration de leur savoir linguistique, vous tutoyant d'emblée comme un criminel.

L' angoisse, dans ces contrées, vous prend aux frontières. Le voyageur comme tel se sent coupable - espèce rare et privilégiée osant passer d'une cage à l'autre, ayant l'audace et les moyens de s'échapper, de braver les enfermements, de balbutier un mot : "Liberté !".

Echo dérisoire de heurts plus violents, une pierre est lancée, dans l'obscurité, contre une fenêtre du train, à la frontière russo-mongole : elle brise la paroi extérieure d'une double vitre. L'employé chinois en service jusqu'à Moscou prend un air consterné et incrédule. "Ce n'est pas rare !" , explique-t-il. Et il vous conseille de tirer un rideau plastifié spécial sur la fenêtre, pour amortir le choc éventuel des pierres, avant de trouver un sommeil rendu laborieux par les cahots et le fracas d'une voie ferrée trop ancienne.

La Mongolie est une immense mer des herbes presque vide, plus peuplée de moutons et de chevaux que d'hommes, espace mal défini, qu'il faut plus de vingt-quatre heures pour traverser, marche ou bande, confins entre la Chine et la Sibérie, en lutte contre le désert. Sinistrée cette année, la partie sud en est enlaidie par la sécheresse. En ce mois de juin, au seuil du troisième millénaire, le jaune, ou le vert-jaune domine : le désert de Gobi s'étend, monte vers le Nord.
De place en place, des squelettes d'animaux gisent le long de la voie ferroviaire. Et si les troupeaux meurent, leurs gardiens les suivent.

Quand d'ailleurs, à sept heures quarante du matin, vous avez quitté Pékin, ancienne oasis elle-même, où pénétraient il n'y a pas si longtemps les chameaux, où les nappes phréatiques sont au plus bas, où la guerre de l'eau menace, comme dans toute cette Chine du Nord à la terre usée, lisse, à nu, sans couverture végétale, souvent dure comme la pierre, où dans les campagnes on offre éternellement aux visiteurs des cacahouètes et du tabac - c'était pour vous retrouver, à la tombée de la nuit, prisonnier d'un désert complet, un spectacle lunaire de dunes, effrayant et fascinant.

Qui a vu le désert une fois, la lente conquête du vert par le jaune, le jardin rasé, l'herbe tondue comme par un coiffeur divin, impitoyable, avec une rigueur dont les parcs miniature de sable ratissé et de pierres rares et étranges, à Kyoto, donnent un avant-goût, en ce Japon où, curant jusqu'à l'os, seuls les fossoyeurs ont du génie - désirera à coup sûr y retourner encore.

Et les visages d'Extrême-Orient sont lisses et dépouillés, purs comme ce désert, vides d'expression apparente - cerveau lavé, âme nue soit du fantôme, soit du pantin. Marionnette, golem, robot, zombie.

A la naissance, les Japonais portent sur le corps, à les en croire, une tache bleue héréditaire : le "signe mongol". Des soignants américains, l'observant sur les indigènes mongoloïdes du Pérou, s'y seraient grossièrement trompés, y voyant la preuve de sévices sur les enfants.

Bien qu'ils se soient longtemps abstenus de lait, de viande rouge, de fromage, les insulaires nippons revendiquent, à la différence des Chinois, un moment dominés par toutes ces dynasties nomades (Yuan, Qing et d'autres plus éphémères), une affinité avec les Mongols qu'ils ont repoussés jadis grâce au "vent des Dieux" (Kami-kazé). De même avec les Mandchous qu'ils ont soumis et régis en ce siècle, réussissant pour la première fois à s'implanter sur un continent. De même avec les Tibétains.

Ces franges du monde chinois, ces marches du continent central - Tibet, Mongolie, Mandchourie, presqu'île de Corée et îles japonaises - constituent un rempart instable et mouvant, une grande muraille mobile, une Asie dure, mais flexible aussi bien , plus chinoise que nature, noyau et archétype de l'Orient extrême, toute une humanité repliée sournoisement et maladivement sur soi-même, comme le labyrinthe infini des circonvolutions, intestinales ou cérébrales, d'une méditation sempiternellement prolongée sous mille formes, aux frontières entre la mort et le sommeil, la folie et la normalité.

Là se découvre et s'éveille un défi complet à l'Occident barbare, grossier, laid, sans façon et sans gêne, peu poli, vulgaire, ignorant la honte, au nom de lettres de noblesse propres dont les humanités gréco-romaines pourraient pâlir.

Symbole mécanique de cette anomalie, le changement des roues du train entre la Mongolie et la Chine s'effectue nuitamment, dans une atmosphère à la fois onirique et infernale, avec une lenteur étrange, désespérante.

Si vous restez dans le train quand on soulève, à l'aide de leviers hydrauliques, les wagons, vous vous trouvez secoués sans répit, une torture digne des innombrables enfers bouddhistes. Si, d'aventure, vous osez descendre sur le quai, vous voyez glisser fantastiquement le train des roues, les essieux détachés - opération inquiétante qui excite les commentaires, en apparence pleins d'humour, en réalité exaspérés et apeurés, des rares passagers occidentaux du train : un discret couple suisse qui fait depuis quinze mois le tour du monde ; un opticien strasbourgeois ; un diplomate autrichien et son épouse ; un jeune rentier américain qui a fait fortune dans la Silicon Valley et qui voyage seul avec son fils, passionné d'échecs ; et une splendide, plantureuse étudiante grecque qui vient d'obtenir ses diplômes, et qui, plus tard, vous confie tout à trac, sans détour : " Could you explain why I feel so dirty on this train ? ...".

Plus de cent-vingt heures de balancement ininterrompu est une expérience qui a de quoi remuer les entrailles, faire germer de menues tragédies, entretenir de brèves comédies, même s'il est permis de se dégourdir les jambes quinze ou vingt minutes à chacune des haltes programmées dans les grandes villes sibériennes : Irkoutsk, Krasnoyarsk, Malinsk, Novosibirsk, Omsk, Tumen, Sverdlovsk, Perm .... D'autres.
Les passagers font partie intégrante de l'étrangeté du décor, observés et surveillés comme les animaux originaux d'un zoo à gérer le mieux possible par le personnel chinois du train, qui se fait cependant de plus en plus invisible, serviable et stylé, à mesure que l'on s'enfonce dans les insondables territoires sibériens.

Vu de Pékin ou Tokyo, Moscou, c'est presque déjà la patrie, et une solidarité occidentale se crée ; des amitiés naissent, des passions fleurissent et s'éteignent ; de minuscules communautés linguistiques se constituent ; toute une alchimie, des apprentisssages, des expériences se déroulent : comment dit-on "Grec" en chinois ? (on dit "Xi-la") ; des germanophiles évoquent la "Blutgasse", la "ruelle du sang" coulant vers le Danube, du temps de la conquête turque, dans une ville autrichienne liée à l'enfance de Haydn.

Syah-Johan, l'enfant du Texas dont la mère, absente, est d'origine malaise, cherche des partenaires pour jouer aux échecs. Il dit avoir dans les veines du sang chinois, tant indien des Indes qu' indien d'Amérique ; il dit espérer être à 45 % américain, image des mélanges d'un monde futur, du métissage universel, de la grande égalité, de l'immense identité, présage d'une espèce toute nouvelle.
Nous le retrouverons par hasard au Bolshoï, comme si tous les passagers blancs du train s'y étaient donnés rendez-vous, pour écouter religieusement, dans la salle rouge écarlate, une Traviata de Verdi agrémentée d'entrechats de ballet, battement précis plus inspiré que la musique, où l'oeil s'attarde longtemps.

Et, en soi, ce voyage n'est-il pas un opéra, une saga, une Odyssée ?
Un drame interminable.
Et en trois actes.



2ème partie, suite...

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