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Méga-chantiers et contrôle de l'eau...


Jouer à Dieu avec les fleuves indiens

par Andrée-Marie Dussault

depuis Kochi, Kerala
mise en ligne le 2 novembre 2004



En Inde, le bras de fer pour le contrôle de l'or bleu a commencé.
Le nouveau gouvernement indien devra bientôt se positionner par rapport au projet de liaisons des fleuves ordonné par la Cour Suprême en 2002. De puissants lobbies sont discrètement à l'oeuvre pour mettre en branle la liaison des fleuves indiens et ce, à presque n'importe quel prix. Intérêts et inconvénients de ce qui pourrait devenir le plus gros chantier jamais vu dans l'histoire de la gestion de l'eau.




Andrée-Marie Dussault, d'origine québécoise, a passé six ans à Genève où elle a fait des études en développement et en journalisme, après une licence en sociologie à Montréal. Elle a été pendant cinq ans rédactrice en chef de la revue L'Emilie (www.lemilie.org).
Installée en Inde, à Kochi (état du Kerala au sud-ouest de l'Inde), depuis la mi-2004, elle y exerce sa profession de journaliste dans le domaine de l'environnement.
Contact: amdussault@pingnet.ch
Imaginez un pays où un sixième du territoire subit la sécheresse et près d'un tiers souffre du manque d'eau chaque été - incommodant 270 millions de personnes - et où environ 12% des terres sont sujettes aux innondations annuelles, perturbant le quotidien de quelques 60 millions d'autres personnes. Ce pays existe; c'est l'Inde. Heureusement, une solution - la "mère des solutions", pour ses promoteurs - a été ordonnée en 2002 par la Cour Suprême pour régler une fois pour toute la crise de l'eau: relier entre eux les fleuves indiens. Le concept est simple: transférer l'eau en "surplus" des fleuves de l'est vers ceux "déficitaires" de l'ouest et du sud.

Concrètement, il s'agirait de créer une trentaine de liens entre les fleuves de la région de l'Himalaya et de la péninsule. Comme on relierait des autoroutes. Si le projet se matérialisait, ce serait le plus grand et le plus cher jamais vu dans l'histoire de la gestion de l'eau. Le prix estimé pour sa réalisation s'élève à 112 milliards de dollars, soit près de deux fois le revenu annuel du gouvernement national. Selon les tenants du projet, la liaison des fleuves pourrait créer quelques 37 millions d'emplois et augmenter le PIB de 4%. En plus de répondre aux besoins en eau pour l'agriculture, l'irrigation et la population, ce méga-chantier devrait produire au-delà de 30 000 mégawatts d'électricité. Bref, un projet qui promet gros.
Alors pourquoi tant de gens crédibles et compétents - incluant d'anciens ministres des Resources en eaux - s'élevent-ils fermement contre ce projet qui propose de redessiner la géographie du pays? Parce que, objectivement, l'idée de relier les fleuves est insensée. Dangereusement insensée. D'abord, le contexte dans lequel a réémergé l'idée de lier les fleuves indiens entre eux est pour le moins trouble. Après avoir été rejeté plusieurs fois ces trente dernières années, le plan est soudainement et abruptement réapparu sur le devant de la scène en 2002 lorsqu'un juge de la Cour Suprême a ordonné au gouvernement, non seulement la mise en oeuvre du projet, mais sa réalisation en 10 ans! Sans souffler un mot sur sa faisabilité. Ordre après lequel le monde corporatif s'est empressé de diffuser la bonne nouvelle en organisant séminaires et ateliers dans plusieurs grandes villes indiennes, jouissant d'une couverture médiatique étonnamment importante.


Une idée in-sen-sée

Sur le plan économique, le projet de lier les fleuves indiens entre eux est invraisemblable. Si son prix est estimé à 112 milliards de dollars, quel sera son coût réel? Le double, le quintuple, comme cela a été le cas avec les méga-chantiers précédents? Selon Medha Patkar, à l'origine d'un ouvrage collectif (1) réunissant des opposants au projet, chacun expert dans leur domaine, les emprunts pour sa réalisation risqueraient ni plus ni moins de mettre en péril l'économie du pays, déjà au prise avec des dettes nationales et internationales difficiles à gérer. D'ailleurs, n'y a-t-il pas en Inde suffisamment de projets en chantier qui languissent à cause du manque de financement? Ancien expert en eau au service de la Banque mondiale, Sudhirendar Sharma se souvient qu'en 1986, Rajiv Gandhi, alors premier ministre, relevait que depuis 1951, 246 projets d'irrigation à grosse surface avaient été initiés, or seuls 66 ont été terminés. "D'autre part, l'expérience internationale montre que les pays qui ont joué à Dieu avec leurs fleuves, souligne Sudhir Vombatkere, activiste environnemental, dépensent aujourd'hui des milliards pour les "restaurer": aux Etats-Unis seulement, pas moins de 100 barrages ont été retirés entre 1999 et 2002."

Quant aux éventuels emplois créés, la liaison des fleuves nécessiterait probablement des technologies sophistiquées et des qualifications pointues, peut-être d'origine étrangère, ne réglant en rien le problème local du chômage. Et même si la création de 37 millions d'emplois était vraisemblable, "en quoi, questionne l'ancien secrétaire national des Ressources en eaux, Ramaswamy R. Iyer, cela justifierait-il un projet qui n'est pas faisable financièrement, pas viable environnementalement, ni défendable socialement?" Quant à l'électricité censée être générée par le projet, nul besoin d'un diplôme en génie hydraulique pour supposer que l'énergie nécessaire pour soulever l'eau vers les régions sèches - souvent situées en hauteur - et pour la faire traverser les obstacles topographiques, est susceptible d'être supérieure à celle produite.


Hypothéquer l'avenir des générations futures

Au niveau de l'environnement, le projet pourrait se réveler un désastre écologique qui hypothèquerait l'avenir des générations futures. A long terme, les méga-projets comme celui-ci causent des dommages imprévisibles et souvent irréversibles. La construction de barrages, de réservoirs et de canaux, impliquerait, selon Ramaswamy R. Iyer des changements morphologiques des fleuves, le bouleversement de la biodiversité de la faune et de la flore, la perte de la qualité de l'eau, l'innondation de forêts et de terrains agraires et des changements de micro-climats, pour ne citer que quelques-unes des conséquences potentielles.

Par ailleurs, l'analogie avec la liaison d'autoroute, souvent mise en avant, ne résiste pas à l'analyse. "Le système fluvial fait partie intégrale du cycle hydrologique" martèle Kalyan Rudra, professeur de géographie spécialisé en gestion des fleuves. La comparaison avec l'artère humaine serait plus adaptée, affirme-t-il. "Reliez une de vos artères à une autre et vous verrez..." Sans compter, comme le rappelle Himanshu Thakkar, coordinateur du South Asia Network on Rivers, Dams and People, le problème de certains fleuves que l'on surnomme gentiment " sources toxiques " qui se déverseraient dans des eaux moins polluées. Quant à la prévention des innondations, avancée par les partisans de la liaison des fleuves, Ramaswamy R. Iyer cite Bharat Singh, ingénieur réputé et membre de la National Commission for Intergrated Water Ressources Development Plan, qui est d'avis que "n'importe quel ingénieur en ressources hydrauliques discréditera sur le champ l'idée selon laquelle la liaison des fleuves pourrait les contrôler ". D'ailleurs, " celles-ci ne sont pas forcément l'oeuvre du diable, note Kalyan Rudra, mais un phénomène naturel qui rééquilibre l'écologie du delta. En revanche, les innondations extrêmes, au même titre que les sécheresses extrêmes, sont en bonne partie les effets d'interventions humaines."


Relocaliser et indemniser...

Socialement, dans un premier temps, ce serait les communautés riveraines qui verraient leurs droits bafoués. Avec Sudhi Vombatkere, activiste spécialisé des questions liées à l'eau, on aimerait croire les tenants de la liaison des fleuves lorsqu'ils jurent que celles-ci seront relocalisées et indemnisées. Mais on attend toujours que le soient les 50 millions de personnes déplacées depuis l'Indépendance par les barrages précédents et qui ne cessent de gonfler les bidons-villes des mégalopoles. Plus globalement, c'est toute la population qui verrait passer ce qui jadis était un bien public gratuit à l'état de bien privatisé payant. Car qui dit propriété de barrages et de canaux, dit de facto contrôle de l'eau.

Enfin, au niveau politique, pour voir le jour, le projet nécessiterait - du moins, selon la législation internationale - l'aval, de loin pas gagné, des pays voisins concernés, comme le Bhoutan et le Bangladesh. Sans oublier les conflits entre états indiens; les gouvernements des états de l'Assam, du Bihar et du Kérala ont déjà explicitement refusé de coopérer au projet. Il y a trois semaines (en octobre 2004, Ndlr), le tout nouveau ministre kéralais des Ressources en eaux, réaffirmait devant la presse locale son opposition catégorique au développement du projet. La Constitution autorise cependant le gouvernement national à initier un tel chantier sans le consentement des Etats...

Ainsi, un projet qui n'était pas inscrit à l'agenda, du jour au lendemain est devenu une priorité nationale présentée comme la "mère des solutions" aux problèmes de sécheresses et d'innondations par l'ancien premier ministre indien, Atal Behari Vajpayee, la veille de sa non-réélection en ce début d'année. Selon les dires de Kaylan Rudra, pas si longtemps auparavant, ce même premier ministre admettait devant le National Water Resources Council (//wrmin.nic.in/policy/water_board.htm) que des méthodes et des technologies sont aujourd'hui disponibles, de telle sorte que, sans sacrifice majeur, le secteur de l'agriculture pourrait couper ses besoins en eau de 10 à 50%, les villes de 30 a 35% et l'industrie de… 90%. Si le gouvernement actuel n'a pas manifesté autant d'empressement que son prédecesseur à lancer le projet, il n'a toutefois pas refusé d'entrer en matière comme le souhaitaient les critiques du projet; il a même explicitement consenti à le considérer.


Le nerf de la guerre

A la lumière de ces faits, qu'est-ce qui peut donc bien faire courir les partisans de la liaison des fleuves indiens? L'argent, beaucoup d'argent. Imaginez un business qui vous assure des contrats pour les décennies à venir; peut-être comprendrez-vous l'enthousiasme des lobbies de l'acier et du ciment. Pour d'autres, comme les ingénieurs de l'eau, dont l'existence dépend de nouveaux projets - et plus ils sont gros, mieux c'est - "il s'agit tout simplement d'un rêve qui devient réalité" relève Sudhir Vombatkere. Quant aux agences internationales de financement, "elles ne sont pas encore visibles dans le paysage; l'appui médiatisé de la Banque mondiale par exemple, mettrait la puce à l'oreille de la population et nuierait au projet, affirme Neelakandan, ingénieur et activiste social, mais prêter aux entreprises concernées est indéniablement dans l'intérêt des institutions bancaires."

Relier les fleuve représente aussi une opportunité en or pour les multinationales de l'eau en quête de nouvelles "ressources" à exploiter, ainsi que pour les entreprises occidentales qui possèdent l'argent, les infrastructures et les technologies nécessaires au développement d'un tel chantier. Enfin, pour les bureaucrates, c'est l'occasion d'arrondir leur salaire en jouant les intermédiaires dans le processus de signature de juteux contrats. Tout cela, dans un contexte où la corruption gangrène le monde politique et juridique à tous les échelons (2) et où les pressions risquent d'être fortes et venir de haut pour que les rapports relatifs au projet y soient favorables. Ainsi, le système fluvial indien, autour duquel s'est développées l'histoire, l'économie et la culture du pays, deviendrait une ressource supplémentaire à exploiter pour créer de la richesse, dans l'intérêt d'une poignée de puissants aux vues étroites et pour qui l'argent a très peu d'odeur.



Notes

1 - Medha Patkar, River Linking: A Millenium Folly? Ed. National Alliance of People's Movement, Inde, 2004

2 - L'ancien ministre de l'environnement était récemment mêlé à une affaire de corruption; dernièrement, le juge en chef de la cour Suprême (l'équivalent français du président du Conseil constitutionnel), admettait lui-même qu'au moins 30% des juges sont corrompus...

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