CONFÉRENCE INTERNATIONALE
"EAU ET DÉVELOPPEMENT DURABLE"
Paris - 19/20/21 mars 1998 |
Documents de travail - Conditions générales -
0. Linventaire des
ressources mondiales en eau douce, examiné à New York en Juin
1997 à la session extraordinaire de lAssemblée Générale
des Nations-Unies, vient confirmer que si les schémas actuels
dutilisation des ressources sont maintenus, près des deux
tiers de lhumanité risquent de souffrir dun manque
deau modéré à grave avant lAn 2005, à comparer à
un tiers de lhumanité actuellement.
1. " Les
êtres humains sont au centre des préoccupations du
développement durable : ils ont droit à une vie saine et
productive en harmonie avec la nature " (déclaration
de Rio).
2. Le Développement
Durable doit être réalisé de façon à satisfaire
équitablement les besoins relatifs au développement des
générations présentes et futures. Il a pour objectif :
- de lutter contre
la pauvreté,
- dassurer la promotion sociale,
- de favoriser les activités économiques,
- de protéger lenvironnement,
3. Leau est
lun des vecteurs majeurs du Développement Durable pour
lequel la communauté internationale a pris conscience, des
problèmes existants, aussi bien à Rio en 1992 quà
Noordwijk en 1996. Il sagit plus précisément :
- de satisfaire, de
façon fiable, les besoins des populations urbaines et
rurales en eau potable de qualité, afin d'améliorer
l'hygiène et la santé et de prévenir les grandes
épidémies,
- d'assurer la
sécurité alimentaire des populations au niveau local,
régional et mondial par un développement durable des
productions agricoles, reposant en particulier sur une
irrigation appropriée,
- de développer de
manière harmonieuse l'industrie, la production
énergétique, la pratique des loisirs et, dans certains
secteurs, du tourisme et les transports par voie d'eau,
- daccroître
la production piscicole pour l'alimentation,
- de prévenir et de
combattre les pollutions de toutes origines et de toutes
natures, afin dassurer la réutilisation optimale des
ressources et de préserver la biodiversité des
écosystèmes,
- de lutter contre
les catastrophes naturelles et les risques d'érosion,
d'inondation ou de sécheresse, en prenant en compte la
gestion de leau et des écosystèmes.
4. Tous ces problèmes
soulevés ne peuvent plus être abordés de façon sectorielle ou
localisée, ni séparément les uns des autres.
5. En effet
aujourdhui, avec laugmentation des consommations et
des pollutions, qui peuvent conduire à des difficultés
d'utilisation de certaines ressources, pourtant disponibles en
quantité suffisante, leau risque de devenir, comme
cest déjà le cas dans certains pays arides, un facteur
limitant essentiel du développement économique et social dans
les prochaines décennies.
6. Une gestion
globale et intégrée des ressources en eau est donc nécessaire.
7. Les grands bassins
versants ou les grands aquifères sont les niveaux géographiques
naturels et pertinents pour organiser une telle gestion durable
de l'eau.
A - LA
RESSOURCE EST RARE, IRREGULIERE ET MAL REPARTIE
8. Si, en effet, l'eau,
sous toutes ses formes, est abondante sur notre planète,
l'essentiel de son stock est constitué d'eau de mer et de glace
: l'eau douce continentale liquide est paradoxalement une
ressource globalement rare, dont l'essentiel se situe dans
les nappes souterraines.
9. Si l'on fait
abstraction des nappes fossiles, les ressources en eau douce
renouvelable s'intègrent dans le "cycle de l'eau" et
s'écoulent en un flux, limité dans l'absolu par la quantité
des précipitations que reçoit chaque continent, et qui revient
progressivement vers les océans ou qui s'évapore.
10. · Ces ressources sont très inégalement
réparties entre les continents et entre les pays, voire les
régions d'un même pays.
11. Ramené à la
superficie des terres émergées, leur flux peut varier de 1
(Australie) à 15 (Amérique du Sud). Le gigantesque bassin du
fleuve l'Amazone contribue à lui seul à 15% des écoulements
globaux.
12. Il y a évidemment
de très grandes différences de situations entre des zones
arides ou semi-arides, qui peuvent d'ailleurs être parcourues
par des fleuves relativement importants, et des zones
équatoriales et tropicales ou encore des zones de climat
océanique, parcourues par un réseau hydrographique dense et
ramifié.
13. Dans certaines
situations insulaires ou de pays arides, le recours au
dessalement d'eaux saumâtres ou d'eau de mer est, d'ores et
déjà, devenu une obligation, avec une réutilisation intensive
des eaux usées épurées pour l'irrigation ou la recharge de
nappes.
14. Il faut également
constater que plus de 215 grands cours d'eau internationaux ont
été recensés dans le monde et que leurs bassins versants
couvrent plus de 47% des terres émergées.
15. · Les ressources présentent également
une grande irrégularité entre les années et une forte
variabilité entre les saisons d'une même année.
16. Le débit des cours
d'eau est très variable selon la saison, et la signification
d'un chiffre de débit annuel est donc fondamentalement
différente en fonction du régime du fleuve et selon qu'il est
naturel ou régulé.
17. Dans le même ordre
d'idée, une forte proportion des volumes d'eau peut s'écouler
sous forme de crues, qui ne peuvent généralement pas être
entièrement contenues dans des réservoirs, lorsqu'ils existent.
Cette partie des écoulements échappe alors à toute
possibilité de contrôle et de gestion, et elle peut s'avérer
un vecteur d'inondations catastrophiques. Dans les zones arides
cependant, l'épandage de crue peut être une bénédiction pour
les agriculteurs locaux qui le plus souvent en assurent une
maîtrise optimale.
18. A l'inverse,
l'occurrence d'une succession d'années sèches ou simplement
inférieures à la moyenne peut créer une situation de pénurie,
voire de disette ou de famine, dans certaines régions qui sont
habituellement pourvues en eau d'une manière convenable ou pour
le moins supportable.
19. En outre, des
présomptions scientifiques supplémentaires viennent
régulièrement conforter l'hypothèse que le climat ne serait
pas stationnaire, mais que nous serions dans une phase de
changement climatique, caractérisée par un réchauffement
global accompagné d'effets significatifs sur le cycle de l'eau.
Face à cette incertitude, la prudence amène à considérer que
l'état des ressources en eau d'une région ou d'un pays dans le
futur ne sera pas nécessairement le même qu'aujourd'hui.
B - L'ACTION
HUMAINE EST DE PLUS EN PLUS SENSIBLE SUR LES RESSOURCES ET LES
MILIEUX
20. Certains
aménagements, des prélèvements abusifs ou les rejets ont pour
effets de modifier le régime naturel des cours d'eau, de
dégrader la qualité de l'eau et de perturber les écosystèmes.
21. Au niveau mondial,
les consommations en eau ont été multipliées par un facteur
proche de 7 depuis le début du siècle et elles ont doublé au
cours des 20 dernières années.
La moitié de cette
augmentation environ est à mettre au compte de l'augmentation de
la population, ce qui n'est pas sans poser le problème de la
maîtrise démographique dans des zones de ressources rares.
L'autre moitié résulte
de l'augmentation de la consommation per capita, lié au
développement agricole et industriel et à l'accroissement du
bien-être social, avec d'ores et déjà localement des
problèmes d'affectation des ressources entre les différents
usages.
22. Une surexploitation
de certaines nappes d'eau souterraine a entraîné leur
salinisation en zone côtière ou l'augmentation de leur
concentration en matière polluante, de même que celle de cours
d'eau a pu conduire à leur assèchement, à certaines périodes,
avec ses conséquences parfois irréversibles sur la faune
aquatique et les écosystèmes.
23. Les rejets polluants
localisés ou diffus, notamment l'utilisation mal maîtrisée de
fertilisants et de pesticides, ont des conséquences néfastes
sur la santé humaine et dans beaucoup de situations interdisent
toute ou partie de la réutilisation de l'eau, pourtant
disponible en volume suffisant pour d'autres usages.
24. Il est également
indiscutable qu'il existe une corrélation étroite entre les
ressources en eau et l'aménagement du territoire :
25. - en zone
rurale, les défrichements abusifs, le surpâturage, le
changement dans la nature des cultures ou du couvert végétal,
de la structure du parcellaire ou des techniques agricoles, ainsi
que l'équipement ou la rectification du cours des fleuves et
rivières, ont des conséquences parfois très graves sur la
modification du climat local, l'évaporation, l'érosion ou la
modification du régime des écoulements, pouvant conduire
jusqu'à des inondations ou des sécheresses ou provoquer des
pollutions, notamment par les matières en suspension : le couple
sol-eau est indissociable et la rupture de ses équilibres se
traduit par des dysfonctionnements sensibles;
26. - en zone
urbaine, l'imperméabilisation du sol par les constructions
ou les infrastructures conduit également à des perturbations
significatives, notamment en périodes de fortes précipitations.
27. L'évaporation par
les grands réservoirs artificiels construits par l'homme
représente également une part très importante de la
consommation des ressources disponibles.
28. Une mauvaise
maîtrise des apports d'eau à la parcelle, et l'absence de
drainage, ont eu pour conséquence dans certaines régions la
neutralisation par salinisation d'une grande part des surfaces
irriguées.
29. Dans le Bassin de
la Méditerranée, où des études de prospective ont été
entreprises, les ressources en eau par tête rapportées aux
populations (1995) sont révélatrices des niveaux de richesse ou
de pauvreté en eau des pays. Elles vont d'une extrême
pauvreté, moins de 100 m3/an/habitant, dans les
Territoires Palestiniens-Gaza et à Malte, à la surabondance,
plus de 10 000 m3/an/habitant, en Albanie et
l'ex-Yougoslavie.
Huit pays, dont la
population totale est de 115 millions d'habitants, se trouvent,
d'ores et déjà, au-dessous du seuil de 1 000 m3/an
de ressource naturelle en moyenne annuelle par habitant,
situation dans laquelle des tensions apparaissent entre les
besoins et les ressources, notamment lorsque l'irrigation est
nécessaire. Dans six pays comptant une population de 28 millions
d'habitants, les ressources tombent sous le "seuil de
pénurie" de 500 m3/an de ressource par tête :
Israël, Jordanie, Libye, Malte, Territoires Palestiniens,
Tunisie ; d'ailleurs, dans ces pays, la quasi-totalité des
ressources naturelles renouvelables est déjà exploitée, voire
outrepassée.
Il se pourrait que les
" indices de consommation finale " de
leau dépassent le seuil de 100 % en hypothèse haute dans
sept pays du Bassin méditerranéen en 2025, traduisant, soit une
réutilisation intense, soit un recours aux ressources non
renouvelables ou aux ressources non conventionnelles, telles que
le dessalement de leau saumâtre ou de mer. Ainsi, la Libye
obtient un stupéfiant indice supérieur à 2 000 %, sa
demande étant couverte à plus de 90 % par l'exploitation d'eaux
fossiles ; en Israël, en Jordanie et à Gaza, la
signification des indices devrait être atténuée par un recours
croissant à la réutilisation des eaux usées.
C - UNE SITUATION
PREOCCUPANTE POUR L'AVENIR
30. Même si
évidemment, à l'échelle mondiale, les situations locales sont
très diverses et parfois contrastées, un certain nombre de
constantes apparaissent :
31. · Le contrôle des inondations, avec
parfois des risques importants pour la sécurité des
populations, reste une préoccupation, tout comme celui
des sécheresses saisonnières, voire pluriannuelles
32. A l'heure actuelle,
le taux de régulation des ressources en eaux superficielles par
les retenues existantes atteint déjà des niveaux élevés et
beaucoup de sites économiquement propices à la réalisation de
barrages régulateurs ont été déjà utilisés, du moins dans
les pays les plus équipés.
33. Beaucoup trop de
réservoirs existants voient leurs capacités de régulation
parfois irrémédiablement limitées par suite de leur comblement
rapide par les sédiments, venant de l'érosion des hauts
bassins, en l'absence d'un contrôle adéquat de la couverture
végétale des sols.
34. · L'irrigation représente le plus
gros poste de consommation, de l'ordre des ¾ du total et les
surfaces irriguées continuent de croître rapidement, du
fait :
- des
impératifs de sécurité alimentaire, en particulier dans
les pays en développement à forte croissance
démographique,
- des
politiques de lutte contre l'exode rural vers les grandes
villes et de fixation des populations dans les campagnes,
- de
l'obligation d'intensifier les productions sur les terres les
plus productives et d'épargner les terres marginales.
35. Dans beaucoup de
pays, les techniques d'irrigation utilisées restent encore
traditionnelles et conduisent à des pertes très significatives
de ressources en eau, soit en amont par évaporation sur les lacs
réservoirs et les canaux à ciel ouvert, soit à la parcelle par
infiltration et perte dans les sols de la plus grande quantité
de l'eau utilisée, qui ne profite seulement que pour
approximativement 1/3 en moyenne mondiale à la croissance des
plantes.
36. Ainsi, l'efficience
globale des systèmes d'irrigation (rapport entre, d'une part,
les quantités d'eau effectivement évapotranspirées par les
cultures irriguées et, d'autre part, les quantités d'eau
prélevées dans le milieu) est mal connue et mal maîtrisée.
Elle varie dans de très larges proportions et les économies
d'eau potentielles sont considérables. Celles-ci constituent un
enjeu économique et environnemental important, même s'il est
vrai que l'eau perdue par infiltration vient réalimenter les
nappes phréatiques à l'aval.
37. La demande en eau domestique est
globalement en croissance rapide, tout comme celle des
industries, des producteurs d'énergie et d'autres activités
économiques ou de loisirs, ce qui commence à poser localement
des problèmes d'affectation des ressources.
38. Dès le début du
siècle prochain, 50% de la population mondiale vivra dans les
villes et une part croissante d'environ 10% se concentrera dans
d'immenses "mégalopoles" de plus de 10 millions
d'habitants. C'est évidemment dans ces très grandes villes que
se posent avec le plus d'acuité les questions de l'adduction
d'eau potable et d'assainissement, même si, dans certains pays
industrialisés, la consommation semble plafonner, voire se
réduire, pour certains usages : les problèmes sont exacerbés
dans les quartiers défavorisés.
39. Il en est de même
de nombreuses villes moyennes et petites, ainsi que dans les
îles.
40. Beaucoup de villages
connaissent aussi de graves difficultés et trop souvent n'ont
pas encore accès direct à l'eau.
41. Une part trop
importante de la population mondiale n'a ainsi pas encore accès
direct à l'eau et vit dans des conditions d'hygiène très
difficiles. Les maladies hydriques font encore de très
nombreuses victimes.
42. L'eau disponible ou
distribuée, y compris dans certains grands centres urbains,
n'est pas encore toujours sans risque pour la santé humaine.
43. Les fuites dans les
réseaux collectifs de distribution d'eau potable dans les villes
atteindraient 50% en moyenne mondiale.
44. L'épuration des
eaux usées, avant leur rejet dans le milieu naturel, a pris un
important retard et beaucoup dinstallations, lorsqu'il en
existe, ne présentent pas de garanties de fonctionnement, ni de
rendements suffisants.
45. · Le recyclage des eaux de process et
le contrôle des émissions polluantes des industries reste
aléatoire.
46. Ainsi donc, d'une
façon générale, les principaux problèmes à résoudre
viennent, d'une part, d'une mauvaise efficience des usages de
l'eau et, d'autre part, de la pollution produite par les
activités humaines.
47. Les graves
difficultés rencontrées ne proviennent pas principalement d'une
insuffisance de solutions technologiques, même si une meilleure
adaptation des techniques aux situations locales est souhaitable,
mais d'abord d'un déficit d'organisation institutionnelle et
économique, de l'absence ou de la non application des
réglementations et des normes, d'un manque de formation
appropriée des professionnels de tous niveaux et de toutes
spécialités qui doivent intervenir, tout comme des divers
usagers de l'eau, et de l'insuffisante éducation de la
population.
48. Le secteur de l'eau
est par ailleurs très capitalistique et les améliorations
nécessiteront la mobilisation de financements très importants,
auxquels les budgets publics ne pourront faire face seuls. Une
association de plus en plus forte des utilisateurs et des usagers
à la gestion et au financement de l'eau devient inéluctable.
49. En outre, faute de
capacité de management, d'exploitation et de maintenance,
beaucoup d'ouvrages n'atteignent pas leur efficacité nominale et
se détériorent trop rapidement, obligeant à des
réhabilitations onéreuses.
Il faut savoir que les
frais de fonctionnement récurrents sont, en général dans les
services modernisés, du même ordre de grandeur que
l'amortissement des investissements : il faut pouvoir les
assurer et ceci de façon pérenne.
50. La connaissance des
ressources en eau, des usages, des rejets, comme du
fonctionnement des milieux, reste très insuffisante pour
permettre une gestion globale et durable.
51. Pour prévenir ces
risques d'évolution difficile de la situation, il est donc ainsi
nécessaire de mobiliser lensemble de la communauté
internationale autour dobjectifs ambitieux mais réalistes,
de coordonner nos efforts et de changer déchelle dans la
prévention des problèmes, afin :
I - d'améliorer la
connaissance des ressources et des usages de l'eau,
II - de développer les outils réglementaires et
les capacités institutionnelles,
III - de mobiliser les moyens de financement, de
favoriser une approche plus économique du secteur de
l'eau.
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